Zazie dans Marie Claire - Juillet 2002 -

Le petit monde de Zazie

Cheveux courts, bébé en vue, la chanteuse de «vrock» (variété-rock) nous a reçus chez elle, à belleville. Une ancienne usine de moutarde, qui lui monte au nez a l’évocation du FN ou du manque d’engagement de la génération bobo. Cette aristocrate tatouée parle avec passion de son métier, violent, de sa difficulté au bonheur, de ses démons aussi...
Par Catherine Castro, photos Patrick Swirc.


Le petit monde de Zazie est finalement assez vaste. La chanteuse vient d’emménager dans une ancienne usine de Belleville. Une usine à moutarde. Ça lui va bien, ce lieu pimenté comme son monde, rempli de musique, de partage, de potes. Naviguant entre chanson bien de chez nous, pop, rock et contributions humanitaires (Sol en si, Restos du cœur), elle apparaît comme un pur produit de son époque. Pas candide, mais sincère, elle prend position sans s’engager vraiment. Pas mondialiste, mais pas anti (elle signe chez Mercury, filiale de Vivendi Universal), elle vend des disques (qui en plus sont bons) et fait un bébé à 38 ans. Ouf La bonne copine du show-biz a tout de notre bonne copine à toutes. Ses origines, Isabelle de Truchis de Varenne (c’est son nom d’état civil) ne les renie pas, mais ce n’est pas ce qui compte.
Pour ses 15 ans, son père voulait lui offrir une chevalière aux armes de la famille, elle a préféré un synthétiseur. A 18 ans, Zazie en a quand même hérité, mais elle ne la porte pas. «Je ne mets pas de bijoux. » Nature, avec une gouaille civilisée, bavarde — «trop, c’est mon défaut» —, jolie, elle est largement consensuelle. Et douée, définitivement.
Beaucoup, parmi les chanteurs français, ont eu envie d’interpréter des textes sucrés-salés écrits par la demoiselle : Patricia Kaas, Florent Pagny, Johnny Hallyday, Pascal Obispo... Ce n’est pas un hasard si la variété française est marquée d’un Z qui veut dire Zazie. En attendant de l’applaudir au Bataclan (concert à partir du 3 janvier 2003, pour un mois minimum), bienvenue dans le petit monde de Zazie.


Marie Claire : Imagine un monde ou Jean-Marie Le Pen gagne... Tu as voté le 22 avril dernier ?
Zazie : J’ai la honte, mais je vais le dire. Jusqu’à présent, j ‘étais abstentionniste. C’était un vrai point de vue, une façon de dire «merde» à la politique en général : je n’allais pas voter pour un pantin bon orateur à la télé ou avec une bonne coupe de cheveux. Mais soudain, avec le score du FN, on a tous pris conscience que la politique n’est pas qu’une af-faire de médias. Si plein de gens avaient fait comme moi, on se serait retrouvé avec Le Pen comme président, et là, on s’en serait bien mordu les doigts ! J’étais abstentionniste, je ne le serai plus!
M. C. : S’engager dans la marche du monde, c’est le rôle de l’artiste ?
Z.: Je pense, évidemment, que les artistes ont un rôle à jouer quand il y a crise, mais c’est surtout avant qu’ils doivent avoir cette vigilance. Quand j’ai fait «Tout le monde il est beau», Le Pen s’était fâché avec Mégret, il était soi-disant foutu. Alors... La vigilance, c’est notre métier, on y est obligé.
M. C. : «Observer, voilà le cynisme de notre génération», dis-tu...
Z.: Notre génération est très au courant de ce qui se passe, elle est capable de mener de grandes discussions super au point sur la faim dans le monde et les misères du bas clergé, mais sur le plan de l’action, elle est d’un individualisme forcené.
M. C. : Tu ne te contentes pas de toucher tes droits à la Sacem. Tu participes aux Restos, à Sol en si...
Z.: Oui, mais je n’en suis pas l’initiatrice. Nos aînés étaient beaucoup plus engagés que nous. Regarde l’action de Jean-Jacques Goldman avec les Restos du cœur.
M. C. : Quand nous discutions tout à l’heure, pendant les photos, j’ai eu l’impression que tu faisais attention à ne pas donner l’image de quelqu’un qui vit dans le luxe... Comme si te cherchais à t’excuser d’être bien née...
Z.: Parce qu’il y a souvent un amalgame entre mon nom et l’aristocratie pleine de robes à smocks, de vins merveilleux. Non, je n’ai pas été éduquée dans le luxe : j’ai grandi à Boulogne, en HLM, en face des usines Renault. Mes parents étaient cultivés, ils avaient une richesse de cœur. Mais sincèrement, on n’allait pas au resto, on allait au cinoche une fois tous les quatre mois, c’était LA sortie. On n’était pas riches, pas pauvres non plus... la petite bourgeoisie, quoi. Cela dit, je n’ai pas de fausse pudeur : au contraire, quand je suis allée à l’émission Capital, j’ai dit combien je gagnais, il y a même des gens que ça a choqué parce que c’est beaucoup d’argent.
M. C. : Tu gagnes combien ?
Z.: Cette année, je ne sais pas, il faudrait que j’appelle mon comptable, mais cela fait beaucoup car j’ai renouvelé mon contrat. Je trouve très bien de gagner de l’argent, à partir du moment où je ne le vole pas aux autres.
M. C. : Tu chantes : «Je voudrais un monde où tout le monde gagne»...
Z.: Au fond, je n’y crois pas vraiment... Un monde où tout le monde gagne, c’est aussi un monde où tout le monde perd. Ce n’est pas une chanson sur l’argent, mais sur la valeur des gens et la valeur des choses. On entend souvent dire que les gens très bien payés sont super compétents. Comme un canapé : s’il est hors de prix, il est forcément beau. Ça m’agace, et ce qui m’agace encore plus, c’est de me faire piéger par ça.

«il s'appelle Bornibov»"Pour se balancer entre l'enfance et l'âge adulte""Pepita mi corazon, offerte par mon amoureux"


M. C. : Tu revendiques de faire de la chanson populaire, mais «pas à n’importe quel prix.» A quelles concessions as-tu dit non ?
Z.: Dire non, c’est ne pas se plier à la logique qui consiste à ponctionner une veine jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. Sortir trois compils en un mois, ce n’est pas mon truc. Dire non, c’est privilégier la qualité à la quantité. C’est vrai qu’il existe un produit qui s’appelle Zazie, posé sur un étalage entre les couches et les cornichons. Ce produit est déjà cher, raison de plus pour ne pas se contenter d’écrire une seule bonne chanson par album.
M. C. : Comment ça naît, une chanson ?
Z.: Il y a des chansons-jets, faites en une demi-heure, dans l’impulsion; et il y des chansons qui prennent des heures, voire des mois ou des années. «Femmes Tefal», je l’avais dès le premier album. Les textes les plus durs à sortir sont les textes intimes. Je peux passer une semaine sur un mot, sur une ligne, à me relever la nuit, à tout rayer le lendemain.
M. C. : Ecrire, c’est comme avoir rendez-vous chez son psy chaque jour...
Z.: Oui, c’est une vraie besogne, pénible, parce qu’on n’a pas rendez-vous avec soi tous les jours, on n’a pas tout le temps envie d’appuyer là où ça fait mal. Les gens ont la gentillesse de bien vouloir adhérer à ce que je suis, la moindre des honnêtetés vis-à-vis d’eux consiste à être honnête avec moi-même et ne pas redire vingt fois la même chose.

M. C. : Dans tes chansons, tu parles beaucoup de toi, de tes histoires d’amour. Comment vis-tu cette mise à nu
permanente ?

Z.: Je dose entre pudeur et impudeur. Il y a une part d’égocentrisme dans tout ça et ce n’est pas un défaut. Il faut être un peu égocentrique pour faire ce métier, avoir une certaine confiance en soi. Sinon, où trouver le courage de monter sur scène ? Car je n’ai pas des choses fondamentalement intéressantes à dire, je ne suis pas Mère Teresa... J’ai certainement un côté «ouf» un peu exhibitionniste.
M. C. : Cette confiance en toi, tu te l’es donnée, ou tu l’avais déjà ?
Z.: C’est un combat, mais si on cherche, on trouve. Ce métier est très déséquilibrant et très caricatural. Si je prends au pied de la lettre l’image que les gens me renvoient, je me prends soit pour Dieu, soit pour une pauvre pétasse. L’équilibre, ce n’est pas l’extérieur qui te le donne.
M. C. : Tu te situes où dans le petit monde de la chanson ?
Z.: Peu importe l’étiquette qu’on me donne, rock, pop... moi je suis dans la «vop», la variété pop, ou le «vrock», la variété rock, c’est selon les chansons.
M. C. : Tu n’as pas l’image de la star adulée, mais solitaire, comme peuvent l’avoir d’autres femmes qui font ce métier...
Z.: Je l’ai été longtemps. On est un peu élevés au caprice. Moi, si je pète un câble, on en fait un truc merveilleux, alors qu’en usine, je serais virée. J’ai senti très vite l’urgence de développer de l’intime à côté de ma vie professionnelle. Ça m’a pris du temps. Avant, je vivais dans les extrêmes : très, très entourée à certains moments, je me retrouvais, après une tournée, dans une chambre d’hôtel sans personne, devant la télé. La chambre d’hôtel, c’est toujours la même, c’est toujours le Mercure, vachement mieux que le Formule 1.
M. C. : C’est plus dur pour une femme ?
Z: Il faut être un peu guerrière. Aller sur une scène, se mettre sous les projecteurs, aller chercher des trucs que personne ne vous demande, c’est presque un acte viril. Une femme, par sa physionomie, est plus tournée vers l’intérieur. C’est vachement dur de monter sur scène. Assez inhumain, comme le saut à l’élastique. Si j’y pense, je n’y vais pas ! Une fois qu’on y est, c’est balayé dans l’instant, le public est là, c’est génial.
M. C. : Tu ne te définis pas comme une chanteuse. Pourquoi chanter alors ?
Z.: Je suis chansonnière. J’écris les textes, la musique et j’interprète. Chanter, c’est la dernière pierre à l’édifice, mais oui, c’est vrai, je n’ai pas une voix de chanteuse. Il y a des moments où je me dis: «Ce n’est pas joyeux.» Aux derniers Res-tos du cœur, j’avais une laryngite. Céline Dion, elle, avec une laryngite, elle chante nickel. Si je devais arrêter une de mes trois casquettes, ce serait sûrement le chant. Je chanterais dans ma salle de bains, et ça m’irait très bien.

"ces birkenstock ont vingt ans. Je les avais achetées à Berlin."


M. C. : A ton avis, comment es-tu parvenue à un tel succès ?
Z.: Le travail, d’abord. Tous les gens qui réussissent dans ce métier sont des bosseurs. Ensuite, mon moteur, c’est le doute. Accepter d’avoir les mains vides à certains moments, de ne plus savoir. C’est très angoissant, ces périodes. La dernière a duré six, sept mois. Je regardais la télé, et tous les jours, je me disais : «Il faut que j’écrive». Je me rongeais les ongles, et je n’écrivais pas une ligne. Au bout du quatrième album, on se dit que cela fait partie du processus.
M. C. : Tu déplores certains traits de cette époque ou (je te cite) «il vaut mieux dire "Fuck everybody" que "Bonjour tout le monde" ». En même temps, tu chantes "Tais-toi et rap". Et c’est le rap qui a mis une certaine violence verbale à la mode...
Z.: «Fuck everybody», si c’est senti, ça ne me dérange pas. En revanche, que les rappeurs le disent dans une Mercedes, avec la poule qui va avec, en ayant pi-gnon sur rue aux Champs-Elysées, je le comprends mal. Ils ont droit à la progression sociale, comme tout le monde, mais à tenir le même discours sur les Champs-Elysées et en banlieue, ils ne sont pas crédibles deux secondes. Ce qui m’énerve, c’est toute l’imagerie qu’on défend autour de ça. Regarde un groupe comme Oasis. Ils s’engueulent, ils disent «fuck» à tout le monde et tout le monde approuve : «Qu’est-ce qu’ils sont rebelles ! » Eh ben, non ! S’insurger, être contre, être vulgaire, c’est devenu marketing.
M. C. : Tu vis avec un homme plus jeune que toi Ça fait quel effet ?
Z.: Quand j’ai su son âge (il a huit ans de moins que moi), j’ai dit : «Ah, merde ! » mais c’était trop tard. Lui aussi, d’ailleurs. C’est une question de hasard. Je suis une grande débutante en bonheur, lui a une maturité à ce niveau-là. On n’a pas forcément l’âge de son âge. Sauf quand il veut sortir jusqu’à 6 heures du matin, je m’arrête à 4 heures, c’est tout.
M. C. : L’avenir ne te fait pas peur ?
Z.: Bien sûr que si ! Mais je crois que l’amour doit être instantané. A force d’être dans l’avenir, on finit par oublier le présent. Le présent sera peut-être plus court que pour un autre couple, peut-être que mon amoureux ira voir ailleurs... En même temps, il y a plein de couples qui sont des contre-exemples. L’amour, en soi, est une exception.
M. C. : A propos de la chirurgie esthétique, ta disais un jour : «A force de recourir au bistouri, les femmes ne ressembleront plus a leurs enfants.» En vieillissant, tu penses toujours pareil?
Z.: Je comprends qu’après deux ou trois enfants, on n’ait pas envie d’être rattrapée par la pesanteur. Mais pour moi, la beauté, c’est la différence.
M. C. : Tu as la chance d’être une belle fille...
Z.: J’aurais pu changer des trucs dans mon corps, parce qu’il n’est pas parfait. Mais je pense vraiment qu’il y a un danger à confondre la parole d’un homme qui dit : «J’aime bien les gros seins» avec «Fais-toi des gros seins. »
M. C. : Qu’est-ce que ta penses de ces hommes-là ?
Z.: Leurs nanas devraient leur prouver qu’elles ont des gros seins à l’intérieur, comme dirait Etienne Roda-Gil. Pour moi, ce n’est pas une preuve d’amour de vouloir changer la personne avec laquelle on vit. Que l’on fasse quelques aménagements de territoire, ça me paraît normal. Qu’on dise à sa nana tout le temps sapée en jogging : «Ce serait vachement bien que, de temps en temps, tu mettes une ro-be», ça aussi, je peux comprendre. Mais pas la métamorphose, ou alors, c’est aimer une image de femme, pas la sienne.

M. C. : Dans «Made in Love», tu évoquais une vie amoureuse assez tourmentée. Le bonheur, tu n’y croyais pas ?
Z.: Je n’ai pas été éduquée à ça, mais j’ai découvert qu’on n’est pas obligé de se résoudre à la fatalité. Apprendre l’amour à 20 ans, ce n’est pas facile. C’est abstrait. Enfant, j’avais l’impression de regarder un film porno quand deux personnes se tenaient la main. C’est idiot, mais le résultat, c’est que je me suis construite autrement. Un peu dans le désordre, mais ça pousse à aller chercher ailleurs ce qui manque.
M. C. : Comment as-tu échappé à la reproduction du schéma familial ?
Z.: Je l’ai décidé. Un jour, j’allais vraiment très mal. J’avais pleuré pendant deux jours non-stop, alors que je ne suis pas une pleurnicheuse. Ce jour-là, j ‘ai touché le fond et j’ai fini par rigoler. Je suis vraiment persuadée que voir les choses autrement, ça se décide. Parfois, je retrouve mes démons. Mais entre donner à manger à ses démons et les laisser dans un coin ou aller les voir de temps en temps, ça fait une sacrée différence.
M. C. : C’est l’âge qui fait changer ça ? Tu as quel âge, au fait ?
Z.: 38 ans. Oui, c’est aussi une question d’âge. Pendant longtemps, c’est la vie qui m’a menée, plus que moi qui ait mené ma vie. Et il y a eu un déclic : «Je ne vais pas y arriver toute seule, si orgueilleuse que je sois». J’ai fait une thérapie.
M. C. : C’est la maternité prochaine qui t’a conduite chez
un psy ?

Z.: Non, c’était mon incapacité au bonheur. Je foirais tout, je prenais exprès ce qu’il ne me fallait pas, les hommes qu’il ne me fallait pas, je perpétuais un schéma boiteux et triste à pleurer. Je n’avais pas envie de me contenter de ça.

Ses petits plaisirs
- Prendre un bain
- Dormir à la campagne
- Sentir bouger polichinelle

Les mots qu'elle préfère
- Mammouth, amoureux, chaussettes,
badaboum, perlimpinpin.

Pas une journée sans...
- Un bain moussant

Interview Catherine Castro, photos Patrick Swirc.

 

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