Philippe Labro invite Zazie

Ombre et Lumière - France 3

"C'est une chanteuse, bien-sûr, mais pas seulement. Elle se dit "Auteuse-Compositeuse" et en effet elle a écrit des chansons pour les grands noms de la chanson française dont Johnny Hallyday et Patricia Kaas".

Merci à Magalie pour la retranscription !


Philippe Labro : Vous écrivez Zazie, mais vous dites que c'est plus difficile d'écrire les mots que d'écrire la musique.

Zaz : Ah oui, c'est le jour et la nuit pour moi, et c'est d'ailleurs ce qui m'intéresse.
P L : Et ce qui d'ailleurs, moi, me stupéfie et m'accable parce qu'il me semble que c'est plus facile d'écrire des mots que la musique. Ecrire des mélodies, ce que vous faites, écrire et inventer des mélodies ça me semble tellement difficile, tellement...
Zaz : Y'a le côté besogneux de chercher la mélodie parfaite, de penser à ce que les gens vont recevoir, est-ce que ça va pas être un peu trop compliqué pour eux ? Mais ça peut être aussi beaucoup plus instinctif que ça, pour moi c'est très naturel, ayant appris la musique comme deuxième langue vivante, c'est très simple de parler musique.
P L : Oui mais, avoir appris la musique, pardon, ne suffi pas pour être capable de composer. C'est quand même mystérieux de sortir la musique de soi non ?
Zaz : Moi ça me semble d'une évidence totale, comme d'apprendre à manger ou de boire un verre d'eau quand on a soif. Ca me semble très proche de l'instinct quoi, de l'intuition, de quelque chose de très enfantin, de très naturel.
Ca l'est beaucoup moins de mettre un sens sur cette espèce de magie un peu "fantasmagorique" qu'est la musique, parce que quand vous écoutez la musique sincèrement vous avez une sensation, vous avez éventuellement un sentiment qui peut être extrêmement large. C'est à dire que vous pouvez dans la même chanson... si je prends une musique sans chanson, une musique classique, vous pouvez vous dire : "j'ai très envie de pleurer, je vais appeler ma mère, j'ai faim, dansons", essayer de trouver un texte (rire) qui va dire dans le premier couplet : j'ai très envie de pleurer, dans le deuxième : appelons ma mère, dans le troisième : j'ai faim, c'est impossible, donc je suis toujours obligée d'être dans une espèce de contradiction de sentiments quand j'écris les textes, c'est ça qui me frustre en fait.

P L : Oui et en même temps vous dites quelque part que s'il fallait tout arrêter vous préféreriez rester dans l'écriture, même si c'est ce qui est le plus difficile. Est-ce que c'est un goût de la difficulté ?
Zaz : Bien-sûr ! Et puis quand c'est difficile on obtient un dépassement de soi aussi, qui fait que quand on y arrive ou quand on a fini, ce qui n'est pas forcement l'aboutissement final, c'est à dire qu'on peut regarder en disant "c'est fini mais c'est pas bien", mais c'est déjà un effort qu'on a fait envers soi, pour soi, beaucoup moins que pour la musique ou pour moi ça ne me semble pas un effort particulier si vous voulez.
P L : Vos paroles naissent, d'après ce que vous dites aussi, de l'agacement et de la colère, vous dites " Je fonctionne à l'agacement et à la colère". Qu'est-ce qui vous agace ?
Zaz : (rire) Heureusement j'arrive à être agacer très facilement par tout et n'importe quoi. Je pense que dedans il y a du faux agacement et du vrai, c'est à dire que sachant que mon mode de fonctionnement et d'écriture est plutôt dans la chose qui ne me plaît pas et qui me met en colère, j'ai tendance à les chercher, à les créer même de temps en temps, c'est à dire que je pourrais très bien faire trois-quatre chansons sur un bonheur absolu mais c'est pas ça qui m'intéresse, c'est pas ça qui m'inspire et surtout j'éprouve une vraie difficulté à écrire sur le bonheur donc je vais un peu tester les tuiles et me débrouiller un peu pour qu'elles tombent un peu et passer dessous au moment où elles tombent pour pouvoir faire une chanson (rire)
P L : Et qu'est-ce qui vous met en colère ? Dans le monde d'aujourd'hui, dans la vie quotidienne.
Zaz : Rien de bien différent que, je pense, tout le monde...
P L : Oui mais c'est vous qui êtes en face de moi, donc qu'est-ce qui vous, Zazie, vous met en colère ?
Zaz : Y'a deux choses. En fait la chose qui me met le plus en colère c'est lorsque je sens que je suis piégée par une idée qui ne serai pas la mienne, auquel j'aurais pu adhérer, et que je me rends compte qu'en fait on m'a fait prendre des vessies pour des lanternes. Alors exemple, un journal télévisé qui va m'induire en erreur (rire) sur des informations. Je me dis qu'à priori ces gens-là leur métier c'est d'être un peu objectif, et je me rends compte que non, qu'il s'agit d'une subjectivité et que donc c'est pas forcement ça la vérité.
Je pense que le plus grand agacement c'est moi-même en fait, c'est à dire que c'est m'apercevoir, comme je suis un peu orgueilleuse, que je me suis trompée ou qu'on ma trompée ou que je n'arrive pas à. Ca c'est des vraies sources de colère.
P L : Et l'état du monde ? L'état de la société ?
Zaz : Plus je grandis (rire), et plus j'ai l'impression de m'inscrire un peu plus parmi une communauté de gens, ce qui ne m'arrivait pas avant. Avant j'étais "zébulonnesque" à souhait, ça me suffisais, je faisais le tour de mon nombril à pieds joints, tout ça été formidable, ne me mener pas à grand chose.
Je trouve ça important de se connaître soi et de s'apprécier soi, je pense qu'y a pas de honte à s'aimer. Autant après, ben on commence à regarder, à lever les yeux et à se dire "Tiens je m'inscris donc dans un monde avec des gens autours, ceux-là je les aime pas, ceux-là je les aime, ceux-là ils vont bien, moi je vais bien, ceux-là ils vont pas. Je pense pas que l'artiste ait un quelconque rôle à jouer, une quelconque utilité à ce niveau là mais peut-être quand même, de par le fait qu'on soit forcé tous les 2 ou 3 ans à être un peu dans une réflexion, dans une intimité de soi, dans une honnêteté, par ses bilans, par ses séries de bilans, peut-être au moins tenter le réveil ou en tout cas déjà juste proposer un avis qui soit différent d'un politicien ou différent de celui du consensus de base.
P L : Quand vous dites "tous les 2 ou 3 ans" c'est à dire tous les 2 ou 3 ans y' a un album ?
Zaz : Oui
P L : Ca veux dire : là c'est le résultat d'une réflexion, oui, et en même temps d'une évolution puisque vous n'êtes pas aujourd'hui ce que vous étiez lors de votre premier album.
Zaz : J'ai pas l'impression d'être très différente !
Peut-être que dans les sujets abordés la maturité arrivant ou pas. Bon on à dit : une chanson sur Tartanpion, on va pas toujours refaire les même chansons sur Tartanpion, même si je pense que de toute manière tous les artistes on leurs bons thèmes récurrents, et qu'ils y reviennent avec leur maturité, avec leur expérience mais on à toujours un bon thème de prédilection.
P L : Votre thème majeur c'est ?
Zaz : Euh... la quête de moi, je dirais ! (rire)
P L : (rire) Donc on en revient au nombril ! (rire)
Zaz : Voilà ! (rire), mais par les autres, donc le chemin n'est pas uniquement intérieur, il peut aussi passer par l'observation des autres.

P L : Vous disiez en parlant de vous : "Avant". Avant c'est donc l'enfance, et vous avez souvent dit que vous aviez été un "garçon manqué" (rire), total. "Garçon manqué" ça veut dire quoi ?
Zaz : Ca veut dire "fille manquée" un peu aussi (rire)
P L : C'est pas un peu le refus de sa féminité ?
Zaz : C'était pas vraiment un refus, c'était pas conscient comme ça. Comment faire pour être copine avec les garçons ? Copain ! C'est plus facile à cet âge là, puis enfant dans les petites années, les garçons sont très avec les garçons, les filles avec les filles, donc quel moyen d'être avec les garçons ? Ben je vais être un garçon moi-même.
Mais c'était pas forcement un refus de la féminité, c'était en fait un appel très, très féminin qui était "Je veux être avec eux !" sans avoir bien compris que la meilleure manière pour une fille d'être avec un homme c'est de rester fille et de l'être franchement, mais ça m'est venu tard.
P L : Il y a eu un passage important quand même dans votre vie, puisque ça a durée quelques années. C'est entre 18 et 25 ans à peu près, où vous avez exercer le métier de mannequin, model hein...
Zaz : Et donc une caricature de fille (rire)
P L : Ah ça je n'sais pas, c'est vous qui le dites. Mais aujourd'hui vous dites "C'était un monde de paraître", un monde d'apparence même de vide, mais tout de même vous en avait retenu des leçons, non ?
Passer 5 ans sur les podiums à défiler et à vivre dans l'univers de la mode. Votre observation du monde elle vient de là aussi peut-être, non ?

Zaz : Le cynisme vient de cette période là !
P L : C'est à dire ?
Zaz : La possibilité pour plein de gens de prendre l'extérieur pour l'intérieur, et de confondre l'apparence, enfin le paraître avec l'être. Y' a plein, plein, plein de gens qui résument encore leurs opinions aux autres et leurs avis aux gens, leurs jugements par l'apparence, que ce soit la manière de s'habiller ou une esthétique ou une beauté. J'en ai tiré cette leçon là. J'ai fais aussi des voyages, donc voilà c'est les deux leçons que j'en ai retirer.
Mais je me suis aussi rendu compte que ça ne m'avait pas servi, c'est à dire que ça ma servi à créer cette urgence, justement, à être et à aller au fond de moi, à voir ce qu'il y avait dedans plutôt que de parler de parfum ou de sous-vêtements, mais je dus désapprendre, par exemple pour une pochette de disque j'avais tendance à faire des pures poses à 2 francs 53 (rire) qui été plus proche du catalogue bidule ou du magazine machin. Voilà, à partir du moment où on a dit des choses même si c'est pas des choses très originales, des choses honnêtes ou personnelles, on peu juste être sur un fauteuil sans poser, sans sur-rajouter, sans forcer le trait. Donc il a fallu désapprendre ça, pour les émissions de télévisions pareilles ! Quand il y a un public, regarder la caméra c'est une offense pour moi.
P L : Ouais, où vouloir séduire ?
Zaz : Ouais, à vouloir séduire à tout prix, surtout à vouloir séduire avec un ingrédient facile. C'est plus facile pour moi de choisir une caméra que d'aller regarder les gens qui sont devant.
P L : Mais quand même vous aviez très tôt, je crois, développer et démontrer des dons pour la musique, et puis y' a donc ce passage (rire) insolite. Si vous aviez autant envie de faire de la musique, pourquoi être aller chercher cette déambulation à travers le monde, vêtue de vêtements que vous n'aimiez pas forcement ?
Zaz : (rire) Non !
P L : Dans un univers de filles que vous considériez comme "cyniques", vous venez de me le dire...
Zaz : C'est pas les filles qui étaient cyniques ! C'était plus le monde autour...
P L : C'est à dire ?
Zaz : Les photographes, les agences de mannequins. C'était pas tellement ces jeunes filles qui ont 15 ans et à qui on ne peut pas reprocher le moindre cynisme encore, on peut leur reprocher une innocence ou une bêtise mais on ne peut pas leur reprocher d'être cyniques !
Je crois ! (rire) que j'avais absolument pas conscience que la musique pouvait être un métier. C'est comme si vous dites à quelqu'un "J'adore lire" et qu'on vous répond "Vous pouvez en faire un métier, vous pouvez devenir lecteur ou correcteur ou que sais-je" j'étais d'une éducation où il y avait le plaisir d'un côté, avec les hobbies, la piscine, le sport, tout c' qu'on veut et un métier qui devait être un truc un peu rébarbatif et pas très rigolo. Donc ça à mit du temps à imprimer dans ma p'tite tête qu'on pouvait faire fromage et dessert et gagner sa vie avec le sourire !

PL : Vous avez trouver votre expression et ses mots, puisqu'on dit que vous avez un langage à vous, qui s'appelle le "Zazois", c'est ça ?
Zaz : Oui, mais enfin c'est mes fans qui disent ça, mais ...
P L : Ah ben oui, mais alors "les fans" ça veut dire qu'on a un public, ça veut dire qu'on l'a convaincu, qu'on l'a séduit.
Vous l'avez trouver facilement ? D'où ça vient cet amour et cet intérêt pour les mots, pour parfois faire une déconstruction de la phrase ?

Zaz : De l'absence d'affectif de temps en temps que je trouve parfois dans des phrases adultes, j'dirais dans un langage adulte.
P L : donnez-moi un exemple s'il vous plaît.
Zaz : J'avais une chanson qui s'appelait "Je, tu, ils", qui était sur l'enfance, où je faisais exprès d'avoir un regard d'enfant tout en étant dans un propos très adulte, où je décrivais les situations de divorce, je vais essayer de vous faire un p'tit résumé en phrases adultes, ça donnerait : "Maman ne peut pas supporter papa, ma mère ne peut pas supporter mon père elle est donc dans sa chambre au bout de la pièce pendant que mon père est à l'autre bout de l'appartement."
Bon c'est mal dit ! Moi je me suis trouver une petite ruse affective qui disait : "Maman est en haut, papa est en bas, qui l'aime pas !" En reprenant donc une chanson enfantine qui était un espèce de conte, "Papa qui l'aime pas" ça s'dit pas trop, ça peut se chanter éventuellement, on a cette excuse là, la musique nous permet de mettre une certaine douceur dans des propos violents. Je retrouve dans le "zazois", dans cette personnalité du langage plus de sensations, enfin plus de sentiments, plus d'affectifs, peut-être parce que j'ai tendance à être très compliqué, plutôt intellectualisante en terme. Vous voyez quand je vous parle c'est quand même de temps en temps très alambiqué pour dire un truc très simple, donc...
P L : C'est pas si compliqué que ça, je vous trouve très claire !
Zaz : Donc j'aime bien retrouver cette espèce de simplicité et surtout d'affection dans les mots et d'affection pour les mots tout bêtes qui ne le sont que s'ils sont chargés vraiment d'un sentiment fort.
P L : Et ce sentiment, il s'exprime quand même quand on le chante soi-même, parce que la grande caractéristique d'une grande partie de la chanson française, c'est : on écrit et les paroles et la musique, et on les interprète. Alors qu'elle importance dans l'interprétation ? Parce que là c'est vous, c'est votre corps, c'est votre voix. Là à nouveau vous paraissez.
Zaz : Oui à nouveau je suis exhibitionniste, mais d'un sentiment qui est le mien et pas celui d'autrui. L'interprétation me permet aussi de rattraper mes maladresses de texte et d'écriture de musique, en gros je dispose de trois ingrédients, si par exemple je trouve que cette phrase là n'est pas super bien dit ou que dedans quand on la lit, tel mot à tendance à être plus important que tel autre et que ça n'a pas était bien fait, je vais dans l'interprétation insister et mettre en éclairage ce mot là, ce qui me permet donc de faire un peu la comédienne sur un texte pour essayer d'insister pour aller dans le mieux, si vous voulez, donc c'est indissociable pour moi de l'écriture, c'est à dire je me dis pas " j'vais chanter", j'ai du mal à chanter les chansons des autres par exemple...
P L : ah oui ?
Zaz : par contre ça me fait plaisir de chanter les miennes parce que je me rattrape quoi, j'essaye de...
P L : Oui mais, est-ce que c'est pas un jour, pardon, un signe de vraie maturation de pouvoir chanter les chansons des autres ? Y' a des grands textes, y' a des chansons qu'on à aimés, que vous aimez certainement, je sais pas lesquelles d'ailleurs ! Si je crois avoir compris que vous étiez, enfin... Brel, Brassens, Barbara... enfin les fondamentaux.
Zaz : Ah ben oui c'est ça ! Je sais pas, c'est gens là m'ont tellement touché que je ne pourrai pas me toucher plus qu'eux en chantant c'est mots là, donc pourquoi le faire ?
P L : Vous travaillez seule ?
Zaz : (elle fait oui de la tête) Tout à fait seule ! Au départ ! Après j'offre à d'autres l'échange et le partage de la musique, de plein de choses, mais au départ c'est un travail autiste, de taupe
P L : Et alors cet autisme, ce travail solitaire, est-ce que c'est une manière de s'analyser ?
Zaz : Complètement ! Complètement ! C'est vraiment ça, c'est même plus que ça parce que quand vous allez voir un psychanalyste vous n'êtes pas obligé d'y aller tous les jours quand même (rire), alors que quand je rentre en composition, je me force, je m'oblige à ce regard sur moi-même, à ce recul ou cette introspection spéléologique et difficile quasi tous les jours, donc c'est un état que j'adore parce qu'il va dans un état très proche d'une certaine folie parfois, mais qui est dangereuse parce qu'on est pas sûr à chaque fois de pouvoir revenir.
P L : Est-ce que ça heurte beaucoup l'entourage ? Vous vivez j'imagine pas seule, vous avez des amis, des amours, des relations. Cette écriture solitaire, cette spéléologie, cette plongée en soi, est-ce que c'est pas aussi une coupure par rapport aux autres, et ça ne vous oblige pas à beaucoup d'efforts ?
Zaz : J'ai la chance de vivre avec quelqu'un qui fait le même métier que moi et qui donc comprend ce retour en caverne. Vous devez vivre la même chose parfois ?
P L : Hum hum.
Zaz : Et puis c'est une caverne quand même parfois un p' tit peu contrôlée, maîtrisée ou en tout cas si vraiment je vois qu'il fait trop noir et qu'il y a des stalactites un peu trop grandes au fond, j'ai un émetteur (rire) qui me permet de dire : "Écoute, là j'en suis là, donc rendez-vous dans deux jours", mais je pense que la chose la plus pénible à vivre pour mon entourage c'est le doute. C'est une semaine d'excitation, comme ça, un peu hystérique parfois, enfantine. J'ai fais telle chanson, j'en suis contente et deux jours après la même en train de se relire, de déchirer et de se dire : "Je suis nulle, je suis vide, je suis stérile, etc", je pense que c'est surtout cette espèce d'élastique permanent à faire : "Mais non, mais oui, mais si" qui est pas facile pour les autres.

P L : Mais ce doute dont vous parlez est-ce qu'il s'étend à d'autres aspects de l'existence ? Vous vivez dans le doute ? Le doute peu amener à l'inquiétude ou à l'angoisse, vous vous définissez comment ?
Zaz : (long silence) Angoissée, j'irais peut-être pas jusque là parce qu'angoisser c'est subir quand même, et j'ai l'impression que je suis active dans cette recherche de solitude ou recherche d'angoisse ou recherche de faiblesse chez moi. Je crois que j'ai une énorme vitalité qui m'empêche de sombrer de ce côté là du versant, mais je l'ai en moi, ce doute je l'ai en moi et pas que dans ma vie professionnelle, je l'ai dans ma vie privée, enfin dans ma vraie vie je dirais, euh ... les albums sont des reflets de p' tits moments de notre vie, je n'invente rien ! De temps en temps je me donne un côté plus héroïque et plus flamboyant de ces p' tits moments mais ça n'est que le reflet de ces moments de ma vie intime.
P L : Mais aussi le reflet, sans doute, d'une génération parce que sinon vous n'auriez pas le public que vous avez, le succès qu'ont vos albums !
Zaz : Ca c'est toujours assez miraculeux, sincèrement, heureusement d'ailleurs qu'on a pas toute la recette du gâteau en question, mais... j'ai l'impression en fait qu'il n'y a pas tellement de génération de conviction. Quel que soit l'âge qu'on a, on peut avoir un public, parce que le public ne demande que ça, il l'a demandé à Brel, il le demande à Noir Désir, il le demande à Lorie, dans un certain côté il demande un bout d'honnêteté, un morceau de lui même, alors après quel est le morceau de moi qui correspond à telle ou telle personne, euh ... j'ai la chance d'avoir un public que je trouve très sympa ! Et qui est en plus mixte, ce qui est une chance aussi.
P L : Sur ce public, cette génération, vous avez eu des mots un peu sévères. Vous dites : "Nous sommes une génération qui est incapable d'action et qui est porteuse d'un certain cynisme", vous pouvez développer un peu ça ?
Zaz : On a pas connu de guerre, je 'dis pas qu'il faut avoir une guerre sur le coin de la figure pour être quelqu'un de solidaire ou pour avoir le sens du collectif, mais on en est exempt de ce sens là. On est même récompensé pour être individualiste, pour avoir nos idées à nous, pour même parfois être un peu dans l'égoïsme et donc on est loin des mouvements collectifs, des mouvements de solidarités évidemment qui étaient plus facile quand il fallait palier à une urgence, que ce soit une urgence, une guerre, une occupation, etc. Donc du coup on a pas cet investissement pluriel, et je pense que c'est pas forcement un défaut qu'on a, moi je le ressens parfois dans mon métier où je me dis : "C'est bizarre j'ai des sous, je vais bien, je peux faire ça et regarder autour de moi", et je le fais très bien, et alors en observation très bien 18 sur 20 mais en action zéro pointé.
P L : Mais c'est un manque ?
Zaz : C'est un manque, c'est un manque.
P L : Mais qu'est-ce qui vous empêche de plus agir ?
Zaz : Je n'sais pas ! Je n'sais pas !
P L : Bonne réponse (rire)
Zaz : (rire)
P L : Honnête, honnête en tout cas (rire)
Zaz : Nan c'est vrai je n'sais pas !
P L : Car il y a toutes sortes d'actions possibles, car même si pour cette génération là il n'y a pas eu la crise avec un "C" majuscule ou la guerre, le monde est suffisamment plein de problèmes, de douleurs, d'espaces dans lesquels des gens, comme vous le dites, ont réussi et peuvent s'impliquer non ?
Zaz : Complètement ! Mais c'est pour ça que je pense ou alors ça m'arrange peut-être moi-même en disant qu'on a pas été éduqué à ça, mais j'ai cette intime conviction qu'on est dans la réaction, c'est à dire que je suis efficace, je suis éventuellement héroïque ou motrice ou guide dans la réaction pas dans l'action. Et la réaction c'est vraiment directement lié à ma petite personne personnelle, vous voyez c'est vraiment si on me touche je vais réagir, et donc là emmener un régiment derrière moi ! Mais sans ça j'irais pas forcement voir. Si, j'ai des engagements privés sur telle et telle association mais ...
P L : Ah, quand même !
Zaz : Oui, mais quand je parle de grands engagements, si vous voulez, c'est le côté un peu Don Quichotte (rire) de l'engagement qui me plaît et que j'ai l'impression qu'on a plus du tout.
P L : On va terminer, si vous le voulez bien, sur une question ou deux qu'on essayera de prolonger avec des pourquoi (rire).
Euh... tout de même tout ce que vous exprimez à travers vos chansons et ce que vous venez de me dire signifie effectivement un doute, une certaine inquiétude sur le nouveau monde peut-être, en tout cas un regard, mais malgré tout vous êtes en train de vous engagez dans l'une des plus belles aventures de la vie, puisque vous êtes enceinte !

Zaz : (grand sourire)
P L : Alors pourquoi ?
Zaz : Ca n'est pas antinomique ! (rire)
P L : (sourire) Pourquoi ?
Zaz : Euh... ben j'ai hésité longtemps... autant je trouve d'un logique et d'un naturel total qu'une femme soit enceinte, autant faire un enfant, et donc un futur adulte, et l'éduquer au monde quand on a soi-même beaucoup de questions et peu de réponses... j'aimerais quand même léguer à mon enfant autre chose que : "Je suis pas sûr d'avoir tout compris ou je vais te filer des choses qui sont pas terribles ou pas glop", donc voilà, on aimerait quand même pour lui, au moins lui donner confiance et quand on a pas confiance en soi je pense que c'est dur d'apprendre la confiance à quelqu'un. Donc la seule chose qui peut éventuellement faire que vous arrêtez de vous tournez la tête de tous les côtés c'est l'amour et euh... et voilà ! (grand sourire)

P L : Mais l'enfant alors... qu'est-ce que vous allez lui dire ?
Zaz : J'vais lui dire qu'il aura peut-être pas la maman la plus équilibrée ou la plus sûre d'elle qui soit au monde mais qu'au moins il a une maman qui l'aime et je pense qu'un enfant est digne de confiance et de sa vie propre, c'est à dire que j'ai attendu suffisamment pour essayer, je vais faire des bêtises comme n'importe quels parents, mais pour essayer en tout cas de ne pas projeter... dans un p' tit bout... mes espoirs ou et mes désespoirs. (sourire)
P L : Pourquoi le désespoir ?
Zaz : Parce que ce n'est pas ce que vous avez envie de léguer à quelqu'un qui est d'une innocence totale, vous avez envie de lui léguer, au moins, la confiance, après il aura ses propres espoirs et ses propres désespoirs, il ou elle, mais disons que j'ai envie que ça s'arrête là, que ça s'arrête à moi quoi, de lui transmettre autre chose que ça.
P L : Vous avez voulu être un garçon, vous souhaitez avez un garçon ? (sourire)
Zaz : Non, j'aimerais bien avoir une fille ! (rire)
P L : (rire) Pourquoi ?
Zaz : Je crois que j'aurais moins les jetons (rire). Je crois que ça me parait être tellement dur d'être un garçon à l'heure actuelle.
P L : Pourquoi ?
Zaz : Ben parce que j'ai l'impression qu'on vous a volé, enfin pas à vous personnellement (rire), mais on vous a volé un territoire qui était assez défini et qui nous arrangeait bien, tout en étant rester comme nos grands-mères c'est à dire que dans nos têtes on a des jupes et des jupons, sauf qu'on joue au garçon de temps en temps. Autant on a gagné beaucoup de choses nous les femmes dans cette espèce de liberté, d'émancipation, de droit au travail, etc, etc. A l'indépendance... autant y' a quelques garçons qui sont largués dans l'espace et c'est pas facile, je trouve que c'est pas facile d'être un garçon ! Peut-être parce que je suis bien dans ma peau de fille maintenant donc je trouve ça sympa d'être une fille, mais j'aurai du mal, je pense, à faire grandir le sexe opposé. (rire)
P L : Il va peut-être falloir le faire, hein !
Zaz : Heureusement y' a un papa, donc il s'occupera de lui.
P L : Merci beaucoup !
Zaz : Merci ! (grand sourire)

Retranscription de Magalie.

 

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